Alors que j’aspire à vivre auprès de ma fille le plus possible,
Alors que je mets un point d’honneur à être disponible au maximum pour elle,
Alors que j’évite de la faire garder en collectivité,
Je cherche aussi à m’en occuper le moins possible !
« Notre vie ne doit pas tourner autour de notre enfant. » – C’est ce que répétait mon mari avant que notre enfant vienne au monde. Il insistait pour qu’on soit vigilants à ne pas glisser, vigilants à garder notre cap. Comme une note à nous-même pour rester concentrer sur nos aspirations personnelles et nos ambitions individuelles.
L’enfant veut grandir et désire profondément faire partie de la tribu. Pour cela, il apprend des grands qui l’entourent. Il les regarde, les observe et les imite encore et encore. A son rythme, à sa manière, l’enfant va chercher à reproduire les gestes, les tâches, les attitudes de son entourage.
Quoi de plus stimulant pour un enfant que de voir ses pairs investis dans une activité passionnante !? C’est l’enthousiasme avec lequel nous faisons les choses qui est d’abord transmis lorsque nous exécutons une activité.
Nous avons sûrement déjà tous assisté au récit fascinant d’une personne qui parlait avec entrain de sa passion – passion pour laquelle nous n’avions a priori aucun attrait. Un jardinier qui nous fait aimer les plantes sauvages en plongeant dans des descriptifs élaborés de biologies naturalistes avec des noms latins que nous ne retiendrons jamais. Un passionné de musiques qui nous partage combien c’était délicieux d’écouter un concert en particuliers avec des détails techniques qui nous feraient confondre cette science avec une langue étrangère. Et au contraire – des partages sur des sujets qui pourraient être intéressants sont rendus inertes et plats par une personne qui ne vibre pas avec le dit sujet.
Si je reste à regarder mon enfant durant des heures, en étant à son service, à sa disposition, de quoi va t-il vraiment pouvoir s’inspirer ? – Je suis souvent agacée et en colère de témoigner un groupe d’adultes qui gravite en cercle autour d’un bambin à commenter le moindre mouvement de l’enfant, à juger ses expressions, son physique et ses gestes. Je ne peux pas m’empêcher de rapporter ces comportements à la tendance que la société porte de se regarder les uns les autres, de se juger, de se mettre dans des cases et de faire des commérages. Et si on mettait de la conscience sur ces comportements et leurs potentielles conséquences ? – De plus, je pense que dans ces cas là, les enfants sont agités et montrent des signes qui pourraient indiquer qu’ils s’ennuient, qu’ils ne sont pas nourris par la richesse du monde qu’ils attendent.
C’est tout cela qui me motive à dire que c’est en étant une individue pleinement vivante que je soutiens le mieux mon enfant à grandir, à s’épanouir dans ce monde.
S’occuper d’un enfant – drôle de grammaire ! Occuper un enfant. Être occupé avec un enfant.
Avec mon mari, nous avons décidé de nous organiser pour garder notre fille et nous nous partageons le temps. Cela nous permet d’avoir du temps à consacrer à nos activités personnelles respectives et d’être suffisamment ressourcés pour rester de bonne compagnie avec nous-même, entre nous et pour le reste du monde. C’est donc un peu plus de la moitié du temps que je dois m’occuper d’elle !
Les familles nucléaires, les habitats individuels, la généralisation des emplois à temps plein, l’école obligatoire, tous ces éléments qui nous amènent aujourd’hui à devoir choisir entre faire garder notre enfant dans une collectivité, par une assistante maternelle puis à aller travailler pour pouvoir payer ce service – ou – à renoncer au rôle de travailleur pour rester cloîtrer chez soi en tête à tête avec ce petit être. Quelle injonction ! Quel challenge ! Quelle absurdité !
Je me raconte que nous sommes un grand nombre à trouver qu’il serait préférable pour nos enfants qu’ils restent proches de leur famille, que leur rythme soit davantage respecté et qu’ils puissent dormir, grandir, explorer sans devoir respecter un programme imposé dès la crèche. Quand bien même nous avons les moyens de nous organiser financièrement pour cela, combien sommes nous à se sentir capable de rester seul avec notre enfant tous les jours ?
Où sont passés les villages ? Ces lieux où les enfants gambadent, grimpent et jouent ensemble sous le regard bienveillant d’une voisine, d’un cousin, d’une grand-mère.
T’as besoin d’une voiture pour aller travailler
Orelsan – La Terre est Ronde
Tu travailles pour rembourser la voiture que tu viens d’acheter
Tu vois l’genre de cercle vicieux ?
C’est important pour moi que ça ne soit pas une tâche de plus à effectuer, que ça ne soit pas lourd, ni pesant. J’aspire à être nourrie par ces moments. Mais ce n’est pas une mince affaire ! Je ne suis pas passionnée par les petits cubes à empiler, ni par les peluches en forme de lapin ; je m’ennuie rapidement lorsque je marche à quatre pattes pour faire le cheval.
Je suis une individue occidentale du XXI ème siècle et la plupart de mes activités favorites sont sur l’ordinateur, sur mon smartphone et dans des cahiers. Autant d’activités individualistes difficiles (impossibles !) à partager avec un nourrisson ou un bambin.
Me voilà donc à stimuler ma créativité pour trouver des activités pour être à la fois pleinement vivante et pleinement présente à ma fille.
Pour les premiers mois de sa vie, mes idées s’orientent surtout sur des activités extérieures. Marcher, se balader, randonner pour respirer, méditer, me dépenser, de préférence en forêt, en nature. Aussi, retrouver des amis.ies, aller faire du vélo. Mes boussoles c’est le mouvement, l’air frais et l’enthousiasme. Et lorsque je suis à la maison seule avec ma fille éveillée alors, je m’attèle d’une bonne dose de patience pour entreprendre des tâches qui peuvent s’effectuer à une seule main ! Ma fille dans mes bras, je vide le lave-linge, j’étends le linge, je passe l’aspirateur, je plie les vêtements. Régulièrement, je la pose et l’encourage à aller explorer et jouer sans moi. C’est très souvent qu’elle fait des allers-retours entre mes bras et le sol, j’essaie de répondre à son besoin d’être dans les bras tout autant qu’à mon envie d’avoir les mains libres !
Il y a aussi l’activité cuisine : je me suis inspirée de mon mari qui à peine elle s’asseyait, il amenait au sol tout le nécessaire pour découper les légumes. Je retrouvais régulièrement notre fille à mélanger la salade de tomates avec ses mains, ou bien à déguster des peaux d’oignons, les pelures de melon. Cela demande beaucoup de lâcher prise, de se relier à tous les bienfaits de ces explorations pour elle, quelques bons réflexes pour retenir parfois le saladier avant qu’il ne se renverse et de la patience pour tout nettoyer par la suite. J’ai rapidement été conquise par cette activité en observant son sérieux, son calme et sa joie d’être incluse. J’ai réalisé combien c’est naturel pour elle d’être attirée par les choses que nous, adultes, faisons plutôt que par ces jouets auxquels nous ne prêtons pas attention.
Je me sens alors satisfaite et joyeuse de prendre soin de chez nous, d’accomplir des tâches qui doivent être faites ! Bien sûr, je ne trouve pas ça passionnant, néanmoins, ça nourrit mon besoin d’ordre, d’action, de contribution, d’hygiène, d’alimentation…
Je rêve d’avoir un potager dans lequel travailler. Je me raconte qu’à tout âge ce sera une activité nourrissante pour moi et conciliable avec ma fille. Tout comme prendre soin d’un poulailler, et progressivement faire un peu de bricolage.
J’imagine que le temps passant, les activités possibles à partager vont se multiplier : coloriages, dessins, collages, cuisine, jeux de société, lecture, danse…
J’essaie de régulièrement me demander pourquoi je fais ce que je fais pour retrouver mon choix et mon élan joyeux ! C’est ça que j’ai envie de lui transmettre avant tout.
Être très présente… sans s’occuper constamment de son enfant
Alors que j’aspire à vivre auprès de ma fille le plus possible,
alors que je mets un point d’honneur à être disponible pour elle,
alors que j’évite de la faire garder en collectivité,
je cherche aussi, paradoxalement, à m’en occuper le moins possible.
Cette phrase peut surprendre. Elle peut même déranger. Et pourtant, elle est au cœur de ma manière de vivre la parentalité.
« Notre vie ne doit pas tourner autour de notre enfant »
Avant même la naissance de notre fille, mon mari répétait souvent cette phrase. Non pas comme une mise à distance, mais comme une vigilance.
Une note laissée à nous-mêmes : rester attentifs à ne pas glisser, à ne pas nous oublier, à préserver nos aspirations personnelles et nos élans individuels.
Avec le temps, cette phrase a pris du corps. Elle s’est incarnée dans notre quotidien.
L’enfant apprend d’abord de la vie qui l’entoure
Un enfant veut grandir. Et surtout, il désire profondément faire partie de la tribu.
Pour cela, il observe. Il regarde les adultes autour de lui, il s’imprègne, il imite — encore et encore. À son rythme, à sa manière.
Ce qui nourrit le plus un enfant, ce n’est pas tant ce qu’on lui propose que la manière dont nous habitons nos propres activités. L’enthousiasme, la présence, l’élan avec lesquels nous faisons les choses sont contagieux.
Nous avons tous déjà été captivés par le récit d’une personne passionnée : un jardinier nous parlant de plantes sauvages avec des termes latins incompréhensibles, ou un mélomane décrivant un concert avec une précision presque ésotérique. Et inversement, combien de sujets intéressants deviennent plats lorsqu’ils sont racontés sans vibration ?
Que montre-t-on à un enfant quand on ne fait que s’occuper de lui ?
Si je passe mes journées à observer mon enfant, à être à son service, à commenter chacun de ses gestes, de quoi peut-elle vraiment s’inspirer ?
Il m’arrive d’être profondément agacée en voyant des groupes d’adultes graviter en cercle autour d’un bambin, commentant le moindre mouvement, jugeant ses expressions, son physique, ses réactions. Je ne peux m’empêcher d’y voir un reflet de notre société : s’observer, se juger, se comparer, se commenter sans cesse.
Et si ces comportements avaient des conséquences ?
Dans ces situations, j’observe souvent des enfants agités, excités, comme s’ils s’ennuyaient profondément, privés de la richesse du monde qu’ils attendent.
Être une personne pleinement vivante pour soutenir son enfant
C’est de là que naît cette conviction : c’est en étant une personne pleinement vivante que je soutiens le mieux mon enfant à grandir et à s’épanouir.
« S’occuper d’un enfant » — quelle étrange grammaire.
Occuper un enfant. Être occupé avec un enfant.
Avec mon mari, nous avons fait le choix de nous organiser pour garder notre fille à tour de rôle. Cela nous permet de préserver du temps pour nos activités personnelles respectives, de rester suffisamment ressourcés, disponibles, et agréables à vivre — pour nous-mêmes, entre nous, et pour le reste du monde.
Concrètement, cela signifie que je m’occupe d’elle un peu plus de la moitié du temps.
Une organisation sociale absurde
Les familles nucléaires, l’habitat individuel, les emplois à temps plein, l’école obligatoire… Tout cela nous place aujourd’hui face à une injonction presque impossible :
faire garder son enfant en collectivité pour pouvoir travailler et payer ce service,
ou renoncer à son activité professionnelle pour rester seule, enfermée, en tête-à-tête permanent avec un tout-petit.
Quelle absurdité.
Quel défi.
Quelle solitude aussi.
Je suis persuadée que nous sommes nombreux à souhaiter pour nos enfants une enfance plus respectueuse de leur rythme, plus proche de leur famille, plus libre. Mais même lorsque les conditions matérielles le permettent, combien d’entre nous se sentent capables de rester seuls, jour après jour, avec un enfant ?
Où sont passés les villages ?
Ces lieux où les enfants courent, grimpent et jouent sous le regard diffus mais bienveillant d’une grand-mère, d’un cousin, d’une voisine.